SOUVENIRS D'AQUITAINE - MÉMOIRES DE BELGIQUE |
L’Aquitaine compte
quelque dix mille belges.
Cette phrase de mon ami
Jacques BORGERS m’a frappé. Je ne l’imaginais guère.
L’Aquitaine est, pour
moi, terre d’accueil et un moment de ma vie je suis venu m’y enraciner. Ce
sont des amis belges qui habitent aujourd’hui la maison sur la Dordogne que
j’ai durant des années, occupée. De loin, de Paris ou de ma Provence
d’enfance, je lui fais un signe de connivence.
La revue de l’Association « Aquitaine Belgique » que j’ai sous les yeux s’ouvre sur un adieu à Jacques CHABAN-DELMAS. Nous avons, voici des années, préparé tous deux avec ferveur, deux textes, encore inédits, qui étaient consacrés l’un à « La France réconciliée » qu’il réclamait de tous ses vœux, et l’autre à de simples et sereines « conversations en Aquitaine ». C’était encore le temps où la politique se rattachait à de telles préoccupations. Le temps de la vaillance et de la douceur plus fortes, ensemble, de se fréquenter.
Quant à la Belgique,
parmi bien d’autres, m’y attachent deux souvenirs forts et précieux.
D’abord, au temps de l’occupation dans la prison du GRUND, à Luxembourg, où
j’occupais avec mes camarades, une cellule du KRIMINALBAU, se trouvaient des
Belges, des Luxembourgeois, et quelques Serbes. C’est là, aux heures dures et
belles de l’attente, soit de la mort promise, soit de la libération
miraculeuse, que j’ai appris, moi qui chante si faux, la marche des Chasseurs
Ardennais. On l’a gueulée aux fenêtres à barreaux avec une passion naïve : «
Debout
sur la frontière aux noirs coteaux, voici la troupe altière qui veille sans
repos ». Ce sont les phrases dont je me souviens.
Plus tard la paix
revenue, j’ai eu l’honneur et le bonheur d’être reçu à Biot dans les
Alpes Maritimes et au Château d’Argenteuil, près de Waterloo, par le Roi Léopold
et la princesse Lilian de Belgique, et c'est, lors de ces rencontres, que
j’ai voué une estime profonde pour le souverain si injustement traité, tant
par les Anglais que par les Français, Winston Churchill et Paul Reynaud, au
moment de la capitulation de 40.
Je sais les mensonges,
les calculs, les ignominies qui ont été perpétrées. Je souhaite apprendre
qu’on s’emploie à les réparer, et qu’on y parviendra. Une cérémonie à
Paris, devant la statue du Roi-Chevalier en rétablissant l’honneur de son
fils et de la vérité historique bafouée, complèterait mes vœux et serait
simple acte de Justice.
« Dix mille belges
en Aquitaine » !
Eux, aussi j’en suis sûr,
seraient heureux au bord de la Garonne, de la Dordogne et de la Gironde en
sachant que l’on a effacé l’affront injustifié, lâchement commis par le
gouvernement de mon pays, en ce funeste mai 40.
« Il se peut qu’un jour la France cesse d’exister écrivait Henry MILLER dans le « Colosse de Maroussi » mais la DORDOGNE survivra comme les rêves dont se nourrit l’âme humaine ».
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Marcel JULLIAN |