Association franco-belge Le Cercle Léopold III

UNE CAPITULATION DANS LA DIGNITE


Etant né au plus fort de la guerre, en 1943, je me suis toujours demandé comment et dans quelle atmosphère s'était concrètement déroulé la capitulation de l'armée belge, le 28 mai 1940.

 

Un jour, je suis tombé par hasard sur la relation (*) de cette capitulation par un témoin direct et oculaire, le colonel honoraire Hubert Rombouts, secrétaire de la maison militaire du Roi Léopold III en mai 1940 :

 

" Le mardi 28 mai 1945, jour de la capitulation de son armée qui avait eu lieu le matin même, le Roi Léopold III se trouvait à Bruges, en l'hôtel du gouvernement provincial de Flandre occidentale.

Il était 15,15h lorsque le général von Reichenau, Commandant de la VI° armée, se présenta au palais provincial, entouré d'un brillant état-major et suivi de nombreux reporters de la presse allemande, écrite et radiodiffusée. Le général demanda à être reçu par le souverain. Il venait, sur l'ordre d'Hitler, se mettre aux ordres du Roi des Belges, avec mission de lui exprimer les sentiments amicaux du Führer.

Le Roi se tenait dans le grand salon du premier étage, d'où il avait pu observer l'entrée dans la cour d'honneur du général von Reichenau et son imposante suite. Il fit appeler le major Van den Heuvel, alors comandant des Palais royaux, et le pria de faire savoir au général allemand qu'il se refusait à toute manifestation spectaculaire.

Le major Van den Heuvel me demanda de le seconder dans cette tâche délicate. Il fut difficile de persuader le vainqueur du jour de se plier à la volonté formelle du souverain, mais nous finîmes par y parvenir.

Après qu'il eut renvoyé son état-major avec la phalange des journalistes, le général von Reichenau fut introduit, seul, dans le grand salon.

Tout au fond, debout derrière sa table de travail, Sa Majesté était figée dans la rigidité d'une attitude militaire.

Après avoir lancé un vibrant "Heil Hitler", le général allemand s'avança vers le Roi, la main tendue. Mais, impressionné par la froide impassibilité qui lui était imposée, il s'arrêta net au milieu de la salle tandis qu'il lui restait une dizaine de mètres à parcourir.

Alors le Roi parla : "Je n'ai qu'une question à poser au général von Reichenau, dit-il, que devient mon armée ?".

Le général demeura un instant interloqué, puis bredouilla : " Je n'ai pas d'instructions à cet égard, Votre Majesté. Mais il faut reconnaître qu'une armée vaincue est une armée prisonnière…".

Le Roi garda un long moment le silence, avant de déclarer avec un grand calme : " Dans ces conditions, que le général von Reichenau me considère comme étant son premier prisonnier".

L'Allemand blêmit. Interdit, il ne trouva rien à répondre. Le Roi laissa toute une minute avant  d'ajouter d'une voix ferme : " Je considère que l'entretien entre le général von Reichenau et moi-même est terminé. Messieurs, reconduisez le général".

 

Une autre anecdote qui, elle, date de la veille, illustre parfaitement le fond et la forme de la pensée du Roi en ces jours difficiles…

L'amiral Keyes avait eu dans la journée du lundi 27 mai 1940 un entretien téléphonique avec Winston Churchill et, revenant de La Panne d'où il avait pu communiquer avec Londres, il n'arriva au gouvernement provincial de Bruges que tard dans la soirée à cause de l'encombrement des routes.

Fidèle à la promesse qu'il avait faite à Churchill de tenter une chance ultime d'emmener le Roi, l'amiral Keyes exhorta le souverain à quitter le pays avec lui.

Le Roi l'attira vers la fenêtre et, montrant la foule des réfugiés qui se précipitaient en tous sens, lui dit : " Ce serait facile pour moi de m'éloigner, mais, même si je le voulais,  je ne le pourrais plus après avoir vu ce spectacle".

L'amiral n'insista plus…

 

C'est cela qui à fait dire au souverain dans une lettre adressée le 28 mai 1940 au Pape Pie XII et au Président Roosevelt : " J'entends continuer, quoi qu'il advienne, à partager le sort de mon armée et de mon peuple. Sollicité depuis plusieurs jours de quitter mes soldats, j'ai repoussé cette suggestion qui eût été pour le chef de l'armée une désertion. De plus, en restant sur le sol national, je désire soutenir mon peuple dans l'épreuve qu'il traverse".

 

Voilà ce que j'appelle les paroles d'un chef d'Etat possédant le sens de la dignité et de l'honneur. L'attitude d'un souverain conscient de ses responsabilités. Mais un homme aussi, empreint d'humanité, de compassion, de sensibilité et de réalisme.

Le reste n'est que faux-fuyants, prétextes, échappatoires et subterfuges malveillants….

 

 

Frédéric Seutin      

  

(*) "Le 18ième Jour", Remy, Editions France Empire, 1976, 422pp.

 

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