Association franco-belge Le Cercle Léopold III

 

Fidélité à l'honneur d'un homme

3 novembre 1908.

La mer du Nord, ourlée d'écume blanche, roule ses vagues sous un ciel gris. Sur la plage, de dos, une haute silhouette. C'est Albert, le futur Albert 1er de Belgique.

Du bout de sa canne, il trace sur le sable le contour de la Belgique devant un enfant de sept ans, en costume marin blanc, culotte courte. C'est Léopold, son fils aîné.

« Tu vois, Léopold, c'est ça la Belgique ! Deux langues : le français et le flamand ! »

Albert inscrit l'emplacement des neuf provinces.

« La Belgique, vois-tu, s'est déclarée indépendante le 04 octobre 1830 et c'est ton arrière-grand-père, Léopold, comme toi, prince de Saxe-Cobourg qui l'année d'après, le 21 juillet 1831, en est devenu le Roi.

Aujourd'hui, c'est son fils, ton grand-oncle Léopold II qui est Roi des Belges »

L'homme et l'enfant se regardent. Albert sourit, attendri par l'immense émotion qu'il lit sur le visage du petit prince.

« Maintenant que tu es grand et que tu t'intéresses aux choses sérieuses et qu'aujourd'hui tu as sept ans, je vais te faire un cadeau que je te demande de ne jamais égarer ou oublier. C'est important pour toi, pour la Belgique aussi. »

De la poche de son grand manteau, Albert sort un petit cadre qui contient un court poème et le tend à l'enfant.

« Lis-le, souvent. Apprends-le par cœur

Il t'aidera dans les circonstances graves de ta vie. Quel que soit ton destin, tu auras recours à lui »

L'enfant se saisit du petit cadre et, d'abord muettement, puis à voix haute commence à lire

« Si tu peux voir détruire l'ouvrage de ta vie et, sans dire un seul mot, te mettre à rebâtir .... un silence) tu seras un homme, mon fils ....( un autre silence ) » Rudyard KIPLING!

Il reste fasciné.

 

L'année suivante, Léopold II, roi des belges, meurt sans fils. C'est son neveu, Albert qui lui succède et règne sous le nom d'Albert 1er. De ce fait même, son fils aîné, le jeune Léopold devient prince héritier de Belgique. On ne tardera pas plus tard à l'envoyer poursuivre ses études en Angleterre à Eton.

Cette scène, je l'ai entendu raconter, du vivant du Roi Léopold III, au domaine d'Argenteuil.

 

Et, après sa mort, c'est la Princesse Lilian de Belgique qui m'a fait le récit de la scène qui, le 23 septembre 1983, s'était déroulée dans le parc, entre les deux cerfs de pierre devant l'arbre centenaire foudroyé. Le Roi l'avait fait consolider avec du béton et maintenir par de grosses vis de fer. Il tenait à l'arbre mutilé. Et la princesse me confia :

« Ce jour-là, veille de son départ à l'hôpital, il m'a tendu un grand dossier que je ne connaissais pas et je me souviens très exactement des phrases qu'il a prononcées. Il m'a dit: « C'est un dossier que je prépare depuis de longs mois. Je l'ai intitulé « MES PROPOS ».

J'y fais le récit de ce qui s'est réellement passé depuis mon accès au trône jusqu'à mon abdication. Il est terminé. Si je ne pouvais le faire moi-même, je te demande de le publier au moment où tu le jugeras bon, pour le bien de la Belgique. »

 Il m'a désigné l'arbre  ... ... ... ... ... ...... ... ... .... « Veille sur lui ! »

Et il n'est pas revenu de son opération.

 

Une phrase d'un immense écrivain français ne cesse, depuis, de me hanter.

La voici :  

« LE PLUS ÂPRE ET DIFFICILE MÉTIER DU MONDE,  A MON GRÉ, C'EST DE FAIRE DIGNEMENT LE ROI »

(Michel de MONTAIGNE)

Votre Roi, vous le savez, n'y a jamais dérogé.

 

Tout le reste, vous qui êtes ici, vous le connaissez pour y avoir songé depuis 1940. L'entrevue du Roi et de ses ministres au château de Wynendaele en Flandre occidentale. Les affrontements militaires sans merci jusqu'au 28 mai 1940 à 04 heures. L'allocution du Roi :

« L'Histoire dira que l'armée a fait son devoir. Notre honneur est sauf. Les rudes combats et les nuits sans sommeil ne peuvent pas être vains. Je vous recommande de ne pas vous décourager. Je ne vous quitte pas dans l'infortune qui nous accable et je tiens à veiller sur votre sort et celui de vos familles ».

D'être Français ne m'empêche pas d'avoir mal à la Belgique et j'ai honte des phrases prononcées, à Londres et à Paris contre votre Roi et qui sont inadmissibles et attentatoires à l'honneur d'un homme : votre ROI.

 

Comment Paul Reynaud a t'il pu annoncer: « Or, voici, qu'en pleine bataille, sans prévenir le général BLANCHARD, sans un regard, sans un mot pour les soldats français et anglais qui, à son appel angoissé étaient venus au secours de son pays, le Roi Léopold III a mis bas les armes. C'est là un fait sans précédent dans l'Histoire »

 

Et au nom de cette prétendue félonie, le Roi Léopold III a été déchu de la Légion d'Honneur.

 

Je demande solennellement, au soir de ma vie, au gouvernement de mon pays de réparer, aujourd'hui, l'injustice intolérable qui a été commise à l'égard de la Belgique, de son Roi Léopold III et de son armée.

Ce 03 novembre 2002 à PARIS, devant la statue du ROI CHEVALIER qu'on a couvert, à tort, le 28 mai 1940 de voiles de deuil, nous sommes rassemblés pour l'honneur d'un homme.

 

Marcel JULIAN
Paris, 03.11.2002